Le dernier envol de l’aigle

Publié le par Sirpa Air

Hommage rendu pendant la cérémonie religieuse par le LCL BERTRAND, ancien commandant d’escadrille du CDT Caroline AIGLE
 


Lorsque tu as été mutée dans mon escadrille, Caroline, j’avoue avoir été très impatient de faire ta connaissance. Permets-moi aujourd’hui pour cet au-revoir de te tutoyer, rompant avec le vouvoiement de rigueur entre un commandant d’escadrille et un jeune pilote. Je m’appliquais cependant à t’accueillir comme n’importe quel autre PIM. Mais en dépit de mes efforts, je dois reconnaître que te recevoir dans mon bureau avait quelque chose d’extraordinaire : tu n’étais pas un pilote ordinaire.

Comme tous mes collègues à l’époque ton nom, Caroline, ne m’était déjà pas inconnu. Ta trajectoire m’intriguait. Macaronée par le chef d’Etat-Major de l’armée de l’air, tu t’étais par ailleurs rapprochée d’un commandant d’escadrille de l’école de chasse, que j’avais trouvé très sympathique lors de mon propre passage à Tours. Plus tard, à l’occasion de ta transformation sur Mirage 2000 à Orange, les bruits répétés qui nous parvenaient à Dijon des vols de nuit / barbecue détendus avec les moniteurs ne me rappelaient pas vraiment l’ambiance « stagiaire » que j’avais pu connaître quelques années auparavant au « Côte d’Or ».

Je découvris alors une jeune femme menue, dont l’intensité du regard bleu, parfois dissimulé sous une mèche blonde, annonçait une volonté ainsi qu’une détermination sans faille. Tu possédais à l’évidence la qualité que j’estime la plus nécessaire chez un pilote de chasse : la pugnacité. Pour le reste, ton comportement militaire irréprochable tout comme ta condition physique exceptionnelle te donnaient une grande force sous des allures d’apparente fragilité : tu étais en réalité tout bonnement désarmante et ton instruction sur chasseur monoplace débuta sous les meilleurs auspices.

Toutefois, il n’était pas toujours évident pour toi comme pour moi en dépit de nos efforts d’arriver à concilier les innombrables sollicitations dont tu faisais l’objet avec ta formation. Je peux cependant affirmer que tu t’es sans cesse montrée disponible et accessible, te prêtant de bonne grâce aux manifestations de toutes sortes. Je crois que ta sympathie naturelle et ta modestie conquérante ont fait que les plus sceptiques ont rapidement rendu leurs armes.

C’est à ce moment là que d’une certaine façon, il me semble, tu as commencé à ne plus t’appartenir totalement et à devenir une nouvelle icône pour l’aéronautique militaire. En dépit des honneurs mérités, tu as su rester la même. Seule la présence quasi-systématique du commandant de base à chacun de tes pots soulignait ta singularité. Gravissant un à un les échelons, tu te qualifiais jusqu’à assurer l’alerte de défense aérienne à partir de la base d’Orange lorsque cette dernière fut renforcée le 11 septembre 2001. Après avoir obtenu ton brevet de chef de patrouille, tu pris à ton tour tout naturellement le commandement de la SPA 57 « La Mouette ». Je me rappelle t’avoir demandé en plaisantant à l’occasion d’un de mes vols d’abonné que nous effectuions en patrouille : « dites-moi, commandant, je vous appelle leadeuse ou leadrice ? » Et toi de me répondre dans un sourire : « Leader, ce sera très bien ! ».

Toi qui avais l’habitude de mener plusieurs activités de front et de relever tous les défis, tu as trouvé le temps au cours de ces années bourguignonnes de te marier puis de devenir mère, allant ainsi jusqu’au bout de l’accomplissement de ta vie de femme.

Pour avoir parcouru quelques-uns des témoignages de soutien qui continuent d’affluer, je vous livre les mots les plus souvent cités : «Rêve, passion, envie, exemple, modèle, symbole de réussite, pionnière, femme d’exception, femme hors du commun, à la fois pilote de chasse, sportive d’élite et aussi mère de famille, parachutiste, marraine magnifique ». Ou encore : « Capacités hors normes, intelligence, talent, courage, force, détermination, conviction, ténacité, volonté, combative, grand enthousiasme, toujours souriante, abordable, accessible, gentille, simplicité, modeste ». Et enfin : « Une grande dame nous a quittés, heureuse de vivre, généreuse, radieuse, douce, charmante, chaleureuse, lumineuse, visage d’ange et regard d’azur, l’étoile filante a quitté ses enfants trop vite, sans vous le ciel de France sera un peu moins bleu, merci Madame, nos yeux regardant le ciel seront désormais embués. Si je veux devenir pilote de chasse c’est grâce à elle ».

Caroline, la communauté des gens de l’air s’incline très respectueusement devant toi qui rentre aujourd’hui dans la légende.

Kro, toute la chasse te pleure à présent que tu as pris ton dernier envol. Tu as aujourd’hui rejoint pour toujours ton terrain de chasse favori.

Face à ta disparition si injuste, la seule chose qui puisse apaiser notre chagrin est de considérer qu’aujourd’hui tu es devenue pour toujours l’ange gardien de Marc et de Gabriel. Je ne vois aucune autre raison à ton rappel à Dieu si précoce. Ils ont besoin plus que jamais que tu veilles sur eux depuis là-haut. Pour avoir vu la mort de près il y a quelques années, je sais quelle peut être la force de la protection offerte par les anges.

Enfin je voudrais dire à Christophe, à tes enfants, à vos familles ainsi qu’à tous ceux que tu aimes, que les portes de l’escadron leur seront toujours grandes ouvertes. Je prends cet engagement en présence ici des plus jeunes à qui je demande de se souvenir de ces paroles. Vous resterez associés aussi longtemps que vous le désirerez à la vie et au destin de la chasse dijonnaise.

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